Evolutions technologiques et vote électronique : quels impacts ?

  • Par Alexandre Touret
    • 20 Avr 2022
    • de lecture
  • Twitter
  • Linkedin
Evolutions technologiques et vote électronique : quels impacts ?

Les machines à voter en bureau de vote, retour sur l’historique de leurs déploiements et utilisation

En 1969 la machine à voter est introduite dans le code électoral. Entièrement mécanique, elle est abandonnée du fait de son faible impact sur la fraude, problématique qu’elle devait résoudre.

Depuis 2010 la CNIL mandate des experts indépendants, pour vérifier les scellements et le chiffrement des machines à voter.

Ce phénomène de fraude n’est pas uniquement au cœur des préoccupations françaises. Aux Etats-Unis la machine à voter a été un sujet polémique lors des élections de 2020. Donald Trump accusait le logiciel de l’entreprise Dominion d’avoir effacé 2,7M de votes en sa faveur. Ce qui, selon lui, aurait donné la victoire, à son adversaire Joe Biden.

Si l’on prend l’exemple d’Antibes, on constate que le recours à la machine à voter ne fait pas dévier le taux de participation en comparaison du taux national.

Avec 30% de ses bureaux de vote équipés en machine à voter, on remarque une abstention similaire à l’abstention nationale au premier tour des élections de 2017 et 2022.

Vote électronique à distance et E-vote : L’amélioration de l’expérience utilisateur peut-elle avoir un impact sur l’adhésion des votants ?

45% des sondés n’auraient pas confiance dans le vote électronique. On retrouve ainsi les biais sociaux présents dans les autres débats de sociétés. Certaines populations pourraient reporter sur ce sujet leur reflexe de défiance, vision complotiste, inquiétude sur l’anonymisation du vote.

D’un point de vue cybersécurité, ce genre de pratique peut être risquée : si l’on souhaite démocratiser le e-vote, il est nécessaire d’être préparés et d’avoir un coup d’avance sur les cyber-pirates, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui.

Le vote électronique : une solution supplémentaire pour les votants, mais peu impactante pour les abstentionnistes

L’Estonie, premier pays européen à avoir déployé le vote électronique, voit 47% de ses votants utiliser cette méthode lors des élections européennes de 2009.

Ce système permet d’ouvrir une période de vote plus longue.

Ainsi, contrairement à la France où le vote se fait sur une journée, les Estoniens ont entre 4 et 6 jours pour exprimer leur vote, ce qui peut avoir une influence non négligeable sur l’assiette des votants.
D’après une étude faite sur le canton de Genève en Suisse, l’effet du vote électronique sur la participation n’a pas été démontré de façon évidente. L’effet est encore moins évident quand il existe déjà un système performant de vote par correspondance via la poste. La conclusion de cette étude tend à souligner le simple effet de substitution que le vote électronique permet : ce sont les populations qui votaient déjà qui utilisent cette option, le taux de participation n’a pas augmenté sur les populations abstentionnistes.

En France un TGN (Test Grandeur Nature) est en place depuis janvier 2022 pour préparer le vote électronique aux législatives 2022 pour les Français vivant à l’étranger. Voxaly & MEAE sont les opérateurs de ce test, accompagnés d’experts en sécurité indépendants, du ministère de l’Intérieur et du BVE (Bureau de Vote Electronique). Le retour d’expérience orientera probablement le rythme de déploiement de la solution pour les autres élections.

Vote électronique : comment garantir la sécurité de l’authentification ?

D’après l’étude Odoxa-BFM-Leyton 64% des répondants souhaiteraient une sécurisation du vote électronique par la double identification.
Cette notion « d’identification » présume donc en premier lieu l’existence de papiers d’identité dématérialisés. Le déploiement du vote électronique a été permis en Estonie grâce à l’adoption de la carte d’identité électronique à puce et biométrique. Ce type de cartes d’identité vient à peine d’être lancé en France.

Ce besoin d’identification numérique met en perspective la recherche sur l’identité numérique et la volonté de garantir une correspondance entre une personne et son pendant numérique.
En effet, d’autres pays l’ont couplé à la « mobile ID ». Cela permet d’enregistrer son identité sur son mobile et de s’en servir pour l’authentification.

Par exemple, le dispositif ITsMe en Belgique développé par la « Belgian mobile ID ».

On se rend compte que le sujet du vote et de l’identité numérique soulèvent des questions d’authentification et de protection de la donnée et des entités en charge de la sécuriser.

De ce fait une nouvelle tendance apparait, celle du « modèle fédéré ». C’est « l’identité décentralisée » ou Self-Sovereign Identity (l’identité souveraine) basée sur la blockchain.

Portée par Gemalto, R3 et Corda : « Elle permet aux fournisseurs de services et donc potentiellement l’Etat de simplifier la gestion des identités des « clients » et de rationaliser le processus de diligence raisonnable, tout en permettant aux utilisateurs de contrôler pleinement leur identité. »

Le rôle de l’état dans l’application de ces innovations technologiques remis en question ?

Quid de la capacité de l’Etat à mettre à jour ces applications et corriger leurs défaillances ?
A titre de comparaison aucun nouveau fournisseur n’a été agréé pour les machines à voter en Mairie depuis 2007. Il s’agit d’une question majeure et interroge sur la capacité du gouvernement français à moderniser ses infrastructures et pratiques informatiques. L’état français est-il capable d’accompagner les évolutions technologiques à la vitesse nécessaire pour garantir un vote électronique fiable et sécurisé ?

Quand on voit le temps nécessaire à l’état pour moderniser ses infrastructures informatiques, l’introduction du vote électronique inquiète : serons nous en capacité de déployer les évolutions technologiques à la vitesse nécessaire ?

Citoyenneté en berne

On peut interpréter l’abstention comme un manque de sens de l’action politique et pas uniquement comme une problématique liée à la facilité de voter.

On constate que 40% des 18-24 ne considèrent pas le vote comme une représentation de la citoyenneté et seulement 36% disent s’intéresser à la politique.

On peut penser que cette génération préfère exprimer ses opinions politiques dans d’autres sphères, comme celle des réseaux sociaux.

Dans le baromètre Odoxa-Leyton-BFM du 14 octobre, on constatait que 1 français sur 2 pratique une activité politique sur les réseaux sociaux.

Cette tendance est majoritaire chez les plus jeunes (62% des -35 ans) plus aisés (cadres: 59%, diplômés du supérieur : 57%) et les plus urbains (habitants de métropoles : 52%).


On observe des zones d’expression libres et digitales qui ont comme promesse de permettre d’exprimer de manière sécurisée, voire anonymisée, ses opinions.

C’est aussi une possible défiance vis à vis du système de collecte classique de l’opinion ou du vote.

Par exemple, les Français utilisent des applications telles que Viber (4M utilisateurs/mois) ou encore Discord (10e messagerie la plus utilisée).

La mission sociétale de l’état en concurrence avec celle des entreprises ?

L’entreprise et son rôle croissant dans la société via ses actions RSE prend des « parts de sens » sur le rôle sociétal de l’état.

Ce dernier pourrait être perçu comme se limitant de plus en plus à ses seules prérogatives régaliennes. Une perception qui pourrait accélérer le désintérêt à voter des électeurs actifs.
L’entreprise est un acteur de plus en plus dynamique dans la course au progrès durable et ses transformations. Ses succès et impacts peuvent, paraitre plus concrets que les avancés plus structurelles de l’état.

On peut modérer ce point de vue : les entreprises évoluent dans un contexte dont les frontières sont posées par l’état.

Si l’Etat ne créé pas les conditions pour que les entreprises assurent leur rôle, le progrès durable ne sera pas accessible.

Retrouvez l’intervention d’Alexandre Touret, Directeur Marketing de Leyton France sur le sujet du vote électronique : cliquez ici


Sources :
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0261379420301244

Gestion numérique des identités : https://www.oecd.org/sti/ieconomy/49338380.pdf
Carte d’identité numérique : https://www.thalesgroup.com/fr/europe/france/dis/gouvernement/identite/tendance-des-cartes-electroniques-en-2016
Vote en ligne Legislative 2022 : https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/services-aux-francais/voter-a-l-etranger/modalites-de-vote/vote-par-internet/
Test Grandeur nature vote en ligne de janvier 2022 : https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/services-aux-francais/voter-a-l-etranger/modalites-de-vote/vote-par-internet/


Auteur

Alexandre Touret, Directeur Marketing, Leyton France
Alexandre Touret

Directeur Marketing, Leyton France

Découvrez nos derniers insights

Voir plus arrow_forward
secteur aérien CORSIA
Enjeux environnementaux du secteur aérien : décryptage du CORSIA

Le trafic aérien retrouve un niveau comparable à celui observé en 2019, après une mise à l’arrêt ...

Declaration des enterprises sur le Climat remises en question : décryptage du nouveau code de bonnes pratiques du VCMI
Communications climatiques des entreprises : décryptage des re...

Alors que les entreprises s'efforcent d'atteindre des objectifs ambitieux en matière de décarbona...

Déclaration IP Box, les 5 erreurs à éviter
IP Box : 5 erreurs à éviter pour optimiser votre bénéfice fiscal

Créé en 2019, l’IP Box est un dispositif fiscal qui permet aux entreprises de bénéficier d’un tau...

CSRD en France : guide complet pour transformer les obligations en avantages compétitifs
CSRD en France : tout comprendre pour transformer les obligati...

La directive européenne encourageant le développement durable des entreprises s'applique aux soci...