CIR : comment rédiger un bon état de l’art ? 

  • Par Leyton
    • 31 Mai 2024
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CIR rédaction état de l'art

Le crédit impôt recherche (CIR), un dispositif déclaratif soumis à contrôle

Une des étapes clés lors de la déclaration du CIR repose sur la justification des dépenses de R&D et des projets valorisés. 

Le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR) propose pour cela un guide pour l’élaboration du dossier justificatif

Si la justification des dépenses reste accessible (tableaux financiers), la justification des projets demande une attention particulière pour éviter de se voir rejeter ses projets en cas de contrôle fiscal ou d’expertise qui peut intervenir jusqu’à 3 ans après la déclaration

Le verrou technologique au cœur de la démonstration de l’éligibilité au CIR

Pour justifier de leurs projets, il est notamment demandé aux sociétés déclarantes de décrire avec précision le verrou scientifique et technique à résoudre et d’argumenter en quoi les connaissances existantes et accessibles ne permettent pas de le surmonter ou n’apportent pas de solution. La résolution de ce verrou reposera sur une démarche expérimentale structurée, planifiée qui devra aussi être détaillée

Il est crucial de souligner l’importance des verrous technologiques dans le cadre des activités de R&D éligibles au CIR, car démontrer l’existence de défis ou d’incertitudes technologiques est essentiel pour sécuriser ce crédit d’impôt. 

En pratique, la rédaction des synthèses techniques est loin d’être aisée, notamment la constitution de l’état de l’art.

Qu’est-ce que l’état de l’art ?

La définition de l’état de l’art donnée les textes est la suivante : 

« L’état des techniques existantes, ou état de l’art, constitue la référence pour déterminer si un projet de l’entreprise nécessite l’engagement d’une opération de R&D. L’établissement de l’état des techniques existantes permet d’apprécier si l’opération combine un élément de nouveauté non négligeable avec la dissipation d’une incertitude scientifique et/ou technique. » 

Il s’agit de réaliser une recherche bibliographique (journaux, manuels, livres, périodiques, bases de brevets, conférences scientifiques, revues et conférences techniques, livres blancs, MOOC, rapports scientifiques et techniques de synthèse…) et une analyse détaillée des informations scientifiques, techniques et/ou technologiques identifiées pour mettre en évidence les limitations et ainsi justifier du verrou scientifique

Pour bénéficier des crédits d’impôt recherche, il est crucial de comprendre et de répondre aux critères stricts du ministère de la recherche, notamment en matière d’incertitudes techniques et scientifiques, et de savoir gérer toute demande d’information de leur part.

Pourquoi réaliser un état de l’art ?

Rappelons qu’un projet éligible au CIR doit vérifier 5 critères cumulatifs :

Critères d'éligibilité au CIR

En pratique, l’identification des activités éligibles au CIR est résumée sur le schéma suivant :

Activités éligibles au CIR

La pierre angulaire du CIR repose sur l’identification de problématiques techniques qui ne trouvent pas de réponse ou de solution dans l’état de l’art : c’est l’identification d’un verrou scientifique qui conduit à mener une démarche expérimentale systématique, aboutissant à un résultat dont la nouveauté et la créativité peuvent être démontrés. La constitution d’un état de l’art est donc nécessaire pour justifier de l’éligibilité du projet dans le dossier technique CIR. Cette démarche permet également de classifier les défis scientifiques rencontrés en différentes catégories, chacune présentant des caractéristiques et des enjeux spécifiques nécessitant des stratégies de résolution adaptées.

En résumé

L’état de l’art permet de mettre en évidence le verrou scientifique, le point de blocage sur lequel les travaux vont porter. C’est l’explication des connaissances accessibles au début des travaux et leur analyse critique qui va conduire à expliquer quelles sont les limites à lever, les challenges à résoudre ;

L’état de l’art conduit à exprimer une problématique technique et à définir une démarche expérimentale visant à lever cette problématique ;

Les travaux menés et les résultats obtenus, comparés à l’état de l’art initial, permettent de justifier des critères de nouveauté et de créativité.

À quel moment rédiger son état de l’art ?

Un état de l‘art doit être initié en amont des travaux, c’est-à-dire lorsqu’un point bloquant a été identifié, comme la préparation initiale des hypothèses ou des études menées par une équipe incluant au moins un ingénieur pour réaliser un développement expérimental avec des résultats incertains. L’analyse des solutions existantes doit ainsi permettre d’identifier le verrou scientifique à résoudre et la démarche de travail. 

L’état de l’art doit idéalement être mis à jour chaque année, notamment si le projet de R&D est pluriannuel.

Comment rédiger l’état de l’art ?

Cibler la problématique et les mots clés

Le point de départ d’un état de l’art pertinent réside dans la formulation de la problématique de recherche. De cette problématique va découler toute l’analyse bibliographique qui permettra de justifier de la présence d’un verrou scientifique.  

Elle doit être suffisamment précise et synthétique : une phrase, une question qui expose la ou les difficultés identifiées et a priori sans solution. Une problématique peut combiner plusieurs difficultés, ou encore peut porter sur des performances a priori impossibles à atteindre. 

Attention à ne pas rester trop générique, sans quoi il sera difficile voire impossible de cibler correctement des publications ou papiers scientifiques.

Exemples :

Au lieu de définir la problématique par « modélisation du bruit généré par des ventilateurs », trop générique, cibler le sujet par « étude et simulation des phénomènes mécaniques, aérauliques et électromagnétiques induits par la propagation de l’air ».

Privilégier la formulation d’une problématique par « étude de la possibilité de traiter les effluents pollués via une approche microbiologique basée sur l’utilisation de micro-orgaismes » au lieu d’une expression générique du type « formulation d’un procédé permettant un traitement rapide des effluents pollués ».

Il est important de définir en parallèle la liste des mots-clés qui permettront de mener les recherches bibliographiques. Trois ou quatre mots clés en moyenne sont suffisants pour initier les recherches, quitte à être affinés en fonction des résultats des premières recherches. 

Identifier les publications scientifiques pertinentes

Pour réaliser la recherche bibliographique, de nombreux outils sont disponibles et gratuits pour la plupart : 

Moteurs de recherche de Google (Google Patent, Google Scholar), qui permettent de cibler plusieurs mots clés, et d’ajouter des filtres de type date, typologie d’article et de créer des alertes pour être informé des parutions tout au long de l’année.

HAL – archives ouvertes ou Base-search.net  : moteurs de recherche qui permettent de cibler les publications, thèses ou articles scientifiques par domaine technique.

Espacenet / EPO  : moteur de recherche dédié aux brevets (France ou international).

Privilégiez dans la mesure du possible des articles scientifiques (revue académique, thèses etc) au lieu d’articles de revues généralistes. Un bon état de l’art doit faire état des connaissances récentes ; des références de plus de 5 ans sont généralement obsolètes et ne pourront pas démontrer que les problématiques identifiées n’ont pas fait l’objet d’études plus récentes, sauf si le domaine de recherche est peu étudié. 

Essayez de cibler un nombre raisonnable mais suffisant de références : une dizaine en moyenne peut suffire pour poser la problématique traitée si chaque référence est correctement analysée.

Analyser et résumer les connaissances accessibles

Chaque solution trouvée est présentée en un court paragraphe d’une dizaine de lignes maximum. A la fin du paragraphe, on précisera en quoi cette solution ne répond pas aux verrous rencontrés. Ces limites doivent rester techniques. 

Au choix, on peut invoquer :

La non-transposabilité des connaissances existantes au problème posé.

Les changements d’échelle par rapport à des connaissances existantes.

L’obsolescence des solutions existantes ou l’infériorité de leurs performances.

La restriction du domaine à la recherche appliquée sans expérimentation concrète.

La présence d’une émulation scientifique sur le sujet.

Attention, un état de l’art n’est pas un état du marché, qui est rédigé dans le dossier technique du crédit d’impôt innovation. Par exemple, si une société ferroviaire développe un nouveau système de traction pour ses trains, il ne suffira pas de rechercher les équivalents les plus récents dans l’industrie ferroviaire. Il faut aussi parcourir les autres industries (automobile, poids lourds, navires de commerce…). Il faut se focaliser sur l’objet des recherches et non l’ensemble dans lequel il est installé. 

Attention également au plagiat. Les citations des publications doivent faire l’objet d’une analyse technique et d’une reformulation, ou d’une citation entre guillemets. 

Enfin, ne pas oublier d’insérer les renvois aux références bibliographiques [X] au fur et à mesure du texte.

Exemple :

L’approche consistant à utiliser un complexe cuivre-tissu en fibres de verre à des fins de blindage électromagnétique est connue et documentée dans la littérature. L’article de Cheng et al. [1], qui propose une méthode de fabrication d’un tel complexe dans une matrice de polypropylène en est un exemple, tout comme les références [X][XX] […]. Les méthodes de fabrication de tels complexes proposées dans ces études s’appuient sur des techniques de filature puis de tissage des fils composites créés. L’approche que souhaite développer la société XXX se démarque des techniques décrites dans l’état de l’art, en proposant … 

[1] CHENG, K. B., RAMAKRISHNA, S., et LEE, K. C. Electromagnetic shielding effectiveness of copper/glass fiber knitted fabric reinforced polypropylene composites. Composites Part A: Applied Science and Manufacturing, 2000, vol. 31, no 10, p. 1039-1045.

Expliquer la problématique et les verrous scientifiques à résoudre

Cette partie doit permettre de faire une synthèse des limitations identifiées précédemment

Une fois les limites des références présentées, il est important de conclure en expliquant en quoi l’ensemble des connaissances identifiées ne permet pas de résoudre la problématique technique. Cette explication permet de cibler le verrou, qui est représenté soit par une limite conceptuelle ou technique qui bloque l’avancement du projet, soit par une ou plusieurs contraintes fortes qui rendent impossible l’utilisation des concepts et méthodologies existants.  

Attention, les difficultés, incertitudes ou verrous dus à un manque de compétence interne, un défaut d’organisation, un manque de formation, de connaissances ou de savoir-faire liés aux individus et non à la communauté scientifique, ou encore des dérives budgétaires, ne sont pas des verrous scientifiques justifiant d’une éligibilité au CIR

Il faut donc être vigilant quant à leur formulation.

Exemple :

L’analyse de l’état de l’art montre qu’il existe des modèles théoriques permettant de prédire le comportement mécanique de collier de serrage. Cependant, ces modèles sont limités car ne s’appliquent que pour des géométries simplifiées de collier, sans tenir compte de l’influence d’éléments additionnels (agrafes, fusibles, dent, …). Dépasser cette limite nécessite la mise en œuvre d’une démarche de recherche.

L’amélioration d’une propriété engendre généralement la diminution d’une autre. Développer un nouveau matériau/complexe permettant d’améliorer plusieurs propriétés nécessite la levée de verrous techniques. En effet, la résistance au feu et la légèreté sont des aspects antagonistes car afin d’avoir une forte résistance au feu il est généralement nécessaire d’augmenter l’épaisseur du matériau, ce qui engendre automatiquement une augmentation du poids de l’ensemble.

En résumé

Les éléments pour un bon état de l’art bien ciblé : 

Présente des références bibliographiques : Articles scientifiques du domaine, ouvrage de références, etc.

Ne se réfère pas uniquement à l’état du marché et à des produits concurrents

Met en lumière les limites des techniques et de la connaissance existantes pour justifier un verrou scientifique à lever

Auteur

Leyton

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